American Radical - Les procès de Norman Finkelstein - Documentaire (2012)
Documentaire de David Ridgen et Nicolas Rossier 17 octobre 2012
Norman Finkelstein a passé sa thèse de doctorat à Princeton sur la théorie du sionisme. Disciple de Noam Chomsky et brillant universitaire, il est spécialiste du conflit israélo-palestinien. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits dans le monde entier dont L’industrie de l’Holocauste (La Fabrique éditions, 2000) et Mythes et réalité du conflit israélo-palestinien (Editions Aden, 2007). Mais la liberté de ton de Norman Finkelstein dérange. Elle lui a valu d’être licencié de l’Université DePaul (Chicago) et d’être taxé de "juif antisémite" par des membres de lobbies pro-israéliens américains.
Norman Finkelstein est considéré par beaucoup comme un des plus grands et sérieux spécialistes du conflit israëlo-palestinien. Livres, conférences, séminaires, interviews, débats … Pas un plateau télé, pas une émission de radio n’échappe à ses analyses pertinentes et ses connaissances pointues. C’est bien simple : dès qu’un soldat de Tsahal pète dans la bande de Gaza ou qu’un palestinien se cure le nez dans une ruelle sombre de Tel Aviv, Norman est convié à venir décortiquer l’évènement et surtout éclaire le monde de ses lumières sur les tenants et les aboutissants de cette guerre qui semble sans fin. Le monde ? Non ! Car un pays peuplé d’irréductibles crétins résiste encore et toujours à cet envahisseur. J’ai nommé la France.
Oui, notre élite bien-pensante a depuis longtemps cloué Norman Finkelstein au pilori des cerveaux malades, au côté des Noam Chomsky, Jean Bricmont ou Gilad Atzmon, élite soutenue par nos amis des medias jugeant préférable de demander leur avis ô combien passionnant et surtout totalement objectif à Finkelkraut et Attali, sans évidemment oublier l’intellectuel numéro 1, j’ai nommé BHL. La cause de son statut de persona non grata dans l’Hexagone est la parution en 2000 d’un livre on ne peut plus polémique, l’Industrie de l’Holocauste, dans lequel il dénonce l’exploitation de l’horreur subie par le peuple juif, à des fins politiques et mercantiles. Le sujet tabou par excellence. Conséquence : Finkelstein est aussi connu par chez nous que le Bescherelle dans le Nord-Pas de Calais. (En même temps, je ne suis pas certaine que ça le dérange tant que ça, vu ce qu’il pense de nous …)
Mais partout ailleurs, notamment aux Etats-Unis, d’où il est originaire, il intéresse, fascine ou agace. Paru en 2010, An American Radical : The trials of Norman Finkelstein nous présente ce professeur de Sciences Politiques peu banal, juif, enfant de déportés (ses parents ayant tous deux survécus au Ghetto de Varsovie) et viscéralement pro-palestinien. De son enfance au sein d’une famille qui n’a jamais véritablement connu le bonheur, et ayant grandi sous la forte influence d’une mère, qui, tout en ressassant chaque jour la guerre, était devenue profondément politisée, mais surtout pacifiste convaincue et proclamée,
Elle pensait que les juifs doivent essayer d’apaiser la souffrance de l’humanité, à cause de ce qu’ils avaient enduré
à son engagement concret, d’abord par le biais de manifestations en Amérique, puis par des déplacements réguliers en Cisjordanie au plus près des conflits, le documentaire dresse le portrait d’un homme extrêmement cultivé et brillant. Propulsé sur le devant de la scène médiatique en premier lieu par la publication d’une thèse démontant le contenu d’un best-seller, From Time Immemorial, qu’il dénonce comme étant une fraude, c’est surtout après la parution de son essai provocateur en 2000 donc que Finkelstein devient mondialement célèbre et commence à provoquer des remous, ce qui décide David Ridgen et Nicolas Rossier à se pencher sur le cas de ce personnage atypique.
De tournées promotionnelles en conférences et débats, du Canada au Japon, en passant par l’Angleterre, les Pays-Bas ou le Liban, Finkelstein impressionne par son érudition et l’incroyable sérénité avec lesquelles ils mènent les discussions ou répond aux questions, voire aux provocations. Qu’on soit d’accord ou non avec partie ou totalité de ce qu’il avance, lui qui n’hésite pas à défendre le Hezbollah lors d’un déplacement dans un camp de réfugiés à Beyrouth, il faut lui reconnaître une éloquence exceptionnelle agrémentée d’une diplomatie impressionnante, même s’il lui arrive de perdre son sang-froid quand on joue la seule carte interdite avec lui, la souffrance juive … Savourez …
Les réalisateurs donnent la parole à ses défenseurs aussi bien qu’à ses détracteurs. Loin de le placer sur un piédestal, les intervenants parlent avec sincérité de l’homme intime qu’ils connaissent, avec ses qualités et ses défauts, ou de la façon dont ils le perçoivent, lorsqu’ils font partie du « camp opposé » au sien, leurs arguments étant parfois tout à fait convaincants. Son amie d’enfance, qui s’interroge sur l’origine de sa potentielle haine des juifs et la naïveté dont il peut faire preuve (la publication d’un de ses livres dans lequel il accuse un éminent professeur de Harvard de plagiat lui coutera une place de professeur titulaire), Noam Chomsky, qu’il connaît depuis les années 80 et ne comprend pas toujours sa provocation, son propre frère, qui déplore le trop-plein de controverses au cœur desquelles il se trouve, ou encore David Olsker, Directeur du Jerusalem Center for Communication and Advocacy Training, qui pour rien au monde, n’aimerait sonder son âme, tous décrivent un homme complexe et s’interrogent sur sa véritable personnalité.
Ma défunte mère n’aimait pas ce que j’étais devenu. Elle avait peur. Et elle se sentait très coupable. Elle avait l’impression que j’étais le monstre de Frankenstein – dans ce cas, le monstre de Finkelstein. Je l’avais prise trop au pied de la lettre, trop à cœur et elle avait l’impression que je me détruisais.
Norman Finkelstein, professeur cultivé, sincère, l’un des grands intellectuels d’aujourd’hui avec Chomsky, militant totalement engagé, profondément humain, parfois touchant, mais aussi provocateur, lucide sur ses actes et les déceptions qu’il a pu engendrer chez les autres, fait depuis plus de 30 ans la douloureuse expérience que
la Vérité est souvent une pilule amère à faire passer.
Homme passionnant, ce film l’est tout autant et donne envie d’en savoir plus et surtout d’en écouter plus. Et s’il est réjouissant de s’abreuver de débats dont fourmille youtube, je cultive le secret espoir de le voir un jour clouer le bec à notre auto-proclamé philosophe BHL. Il est malheureusement fort à parier que ça restera un doux rêve car je doute que Finkelstein soit un jour convié sur nos plateaux télé. Dis-moi qui tu diffuses, je te dirai qui tu es …