Poesía sin fin - Film (2016)
Film de Alejandro Jodorowsky Biopic, drame et fantastique 2 h 08 min 5 octobre 2016
Dans l’effervescence de la capitale chilienne Santiago, pendant les années 1940 et 50, « Alejandrito » Jodorowsky, âgé d’une vingtaine d’années, décide de devenir poète contre la volonté de sa famille. Il est introduit dans le cœur de la bohème artistique et intellectuelle de l’époque et y rencontre Enrique Lihn, Stella Diaz, Nicanor Parra et tant d’autres jeunes poètes prometteurs et anonymes qui deviendront les maîtres de la littérature moderne de l’Amérique Latine. Immergé dans cet univers d’expérimentation poétique, il vit à leurs côtés comme peu avant eux avaient osé le faire : sensuellement, authentiquement, follement.
Ce n'est définitivement pas tous les quatre matins que l'on peut se targuer d'avoir vu et ressenti pareille expérience de cinéma. Qu'on aime Jodorowsky ou qu'on le déteste à plus ou moins juste titre, ses films ne portent et ne porteront jamais l'essence de l'indifférence. On ne peut ignorer que regarder la Poesia Sin Fin fait jaillir en nous les racines d'une émotion particulière. Quelle soit sur le modèle du rejet total ou de l'émerveillement quasi hypnotique, confus, cette émotion demeure, cette personnalité irradie et nous amène à ne la comprendre qu'en demi teinte. Si dans beaucoup d’œuvres cela pourrait s'avérer dangereux de balader son spectateur dans une myriade de références, de métaphores et de psychés, Jodorowsky est de ceux qui instiguent de la justesse dans chacun de ses plans, chacune des idées portées à l'écran. Rien n'est à jeter, tout n'est pas forcément d'une pertinence absolue mais, encore une fois, il n'y a rien à jeter.
La Poesia Sin Fin nous conte l'histoire autobiographique de son réalisateur, Alejandro Jodorowsky, l'homme qui faillit accoucher du plus grand film de tous les temps. Pourtant, ici point de récit traitant du septième art, ce qui nous occupe davantage est la poésie, du moins la vision poétique de Jodorowsky lors de son adolescence passée au Chili dans les années 40. Pléthore vont évoquer cette autobiographie comme fantasmée, ce qui en soit n'est pas totalement faux, or, parler de fantasme occulte quelque part la vision du réalisateur. Bien évidement que la vie de Jodorowsky n'a pas pu se dérouler précisément de cette manière, cela ne veut pour autant pas dire que cela n'a pas existé pour lui.
Au fond, si le film s'avère rocambolesque, fou, quasi magique, il ne demeure qu'une vision d'adolescent de ce que serait la vie ainsi que toutes ses découvertes, ses expériences. En conversant longuement avec Edenal sur le sujet, il s'est avéré que le fantasme n'a en effet pas sa place ici, ce qui, pour le cas Jodorowsky colle parfaitement avec sa personnalité mégalomaniaque.
Prenons un exemple tout à fait bénin ; la mère d'Alejandro dans le film ne s'exprime qu'en chantant. Certes, Jodorowsky explique que sa mère aurait toujours voulu être chanteuse, sauf qu'il est également intéressant de constater qu'en faire un personnage seulement lyrique lui confère comme forme un unique adjectif. Idem pour son père qui ne devient qu'un opposant, un castrateur du désir. Cela n'en fait guère des protagonistes creux, mais des parfaites représentations d'un souvenir de Jodorowsky. C'est un peu comme raconter sa vie et dire « ma mère était comme si, mon père comme ça... ». Cette vision expliquerait notamment que des bonshommes en costumes noirs s'agitent parfois en arrière plan pour faire avancer l'action. C'est une vision d'un souvenir d'enfance, d'adolescence, transformé par l’œil, une vision subjective, unique.
Parler plus en avant du déroulement de l'histoire serait inutile tant il convient de vivre pleinement l’œuvre, que seul des mots ne pourraient remplacer. La poésie déversée dans le film agit d'une manière tout à fait identique. On pourrait reprocher au personnage d'Alejandro de n'être poète que par un bon mot balancé ici ou là, de n'être poète que parce qu'il l'exprime ainsi. On pourrait le croire en effet, seulement, ce serait oublier le film que nous avons devant nous. La poésie, ici, n'est pas que des mots, c'est un flot d'images et de sens, rendant chaque scène comme l'expression la plus pure de la poésie ; un tableau mouvant, tantôt abscons, tantôt contemplatif, chargé d'une force à laisser sans voix celui qui s'y penche.
En définitive, La Poesia Sin Fin est un film qui risque de me hanter pendant quelques temps encore. Je pourrai m'étendre encore davantage dans ma diatribe en évoquant les milliers de détails, qu'ils soient Œdipiens, philosophique ou que sais-je d'autre, seulement je me demande, au fond, s'il est nécessaire de devoir tout expliquer, de chercher un sens à chaque élément. M'est avis que non, il n'y a qu'à se laisser porter et vivre, toujours vivre.
P-s : Petite pensée pour ce couple qui avait amené leur nourrisson lors de la projection. Non pas qu'il ait dérangé, je trouve simplement amusant de me dire que le premier film que verra cet enfant est le dernier rejeton de Jodorowsky.