Eva ne dort pas - Film (2016)
Film de Pablo Agüero Historique et drame 1 h 27 min 5 novembre 2015
1952, Eva Perón vient de mourir à 33 ans. Elle est la figure politique la plus aimée et la plus haïe d’Argentine. On charge un spécialiste de l'embaumer. Des années d'effort, une parfaite réussite. Mais les coups d'état se succèdent et certains dictateurs veulent détruire jusqu'au souvenir d'Evita dans la mémoire populaire. Son corps devient l’enjeu des forces qui s’affrontent pendant 25 ans. Durant ce quart de siècle, Evita aura eu plus de pouvoir que n’importe quelle personnalité de son vivant.
Véritable monument d'originalité, Eva ne dort pas surprend son spectateur de bien des manières. Peut-être pour le déplaisir de certains. Mais après tout, le génie est souvent incompris. Par quoi commencer ? D'abord, il y a cette volonté incroyable de nous offrir une "expérience sensorielle", selon les mots de Pablo Agüero. C'est une réussite : on dira que les plans de trois minutes sont ennuyeux. Mais quand on a de si beaux plans, ce serait un crime de les réduire trop. Pablo Agüero trouve l'équilibre dans cette esthétique, cette aisthesis (sensation) très picturale. Les références à la peinture sont nombreuses et chaque plan extrêmement travaillé s'offre à la contemplation. Contemplation qui tient presque de l'idolâtrie, tant l'imagerie christique est profonde et forte : Rembrandt, Goya, les vanités et peut-être même les impressionnistes, sont également suggérés par le geste d'un cinéaste qui s'affirme comme un créateur (Créateur ?), dans une recherche permanente de l'originalité qui est la marque des grands et des inventeurs. Parce que le cinéma, nous rappelle Eva ne dort pas, c'est aussi un art, qui est en perpétuel renouvellement, et que les réalisateurs doivent continuer à mettre en mouvement.
Le génie de ce film, c'est aussi ce pari fabuleux d'un film sur une morte qui ne traite pas de sa vie, qui finalement contribue à entretenir Eva Perón comme le symbole qu'elle est devenue, et la marque indéniable qu'elle a posé sur l'Histoire, tout en se muant en mythe. Au final, il y a une vraie prouesse scénaristique, qui mêle le cheminement du cadavre, si on peut parler de cadavre pour un corps aussi vivant, aux images d'archives, véritable collage de moments d'exception, qui viennent ancrer le film dans une vérité paradoxale.
Donc non, Eva ne dort pas, et nous non plus, captivés par l'audace de cette cinématographie et par la construction d'une icône. En effet, le film est politique sans être engagé, et c'est par là même qu'il touche au sublime : sans prendre parti, sans poser de regard contingent sur cette femme, le film s'interroge sur l'aura mystique et presque sacrée de celle qui est devenue la figure de proue des peuples. Le film est à l'image de celle dont il fait un étrange portrait : avant-gardiste.