Argent amer - Documentaire (2016)
Documentaire de Wang Bing 2 h 36 min 9 septembre 2016
Dans l'est de la Chine où les villes se transforment rapidement, des migrants arrivent et rêvent d'une vie meilleure. Mais ce qu'ils trouvent, ce sont de médiocres conditions de vie et une absence quasi-totale d'opportunités. Un contexte qui pousse les gens à avoir de violentes relations d'oppression. Xiao Min, Ling Ling et Lao Yeh sont quelques uns des personnages de cette chronique amère de la Chine contemporaine.
Argent Amer (2016) -苦钱, / 146 min. Réalisateur : Wang Bing -王兵 Mots-clefs : Chine – Documentaire – Ouvriers du textile.
Le pitch : À peine sortis de l’adolescence, Xiao Min, Ling Ling et Lao Yeh ont des rêves plein la tête. Quittant leur village du Yunnan, ils partent grossir la main d’oeuvre de Huzhou, une cité ouvrière florissante des environs de Shanghaï. Soumis à la précarité et à des conditions de travail éprouvantes, ils veulent quand même croire en une vie meilleure.
Premières impressions : Wang Bing, voilà un nom qui attirait mon regard depuis plusieurs années sans que je n’ose réellement m’y confronter. La spécialité du bonhomme depuis une quinzaine d’année ? Le documentaire immersif sur la face cachée de la Chine : traitement de la vieillesse ou de la maladie mentale ( À la folie - 2013 : Mrs. Fang - 2017), rescapés et victimes des camps de travaux forcés (Fengming, chronique d'une femme chinoise - 2007 ; Le Fossé – 2010 ; Les âmes mortes - 2018), pauvreté et dureté de la vie dans les provinces reculées (À l'ouest des rails – 2003 ; Les Trois Sœurs du Yunnan – 2013). Des thèmes passionnants traités dans des films longs de deux, trois, dix heures parfois ! Même quand on a envie d’en savoir plus, la durée et la pesanteur ont de quoi refroidir les ardeurs de toute personne normalement constituée. Pas envie d’avoir le cafard et de regarder une réalité aussi laide que tragique. J’ai pourtant sauté le pas à la faveur d’une promotion sur une plateforme de VOD et ce fut une expérience aussi riche que touchante.
Dans Argent Amer, Wang Bing pose sa caméra dans la grande banlieue de Shanghai et suit la vie de différentes ouvrières et ouvriers qui ont quitté leurs campagnes pour gagner un peu d’argent dans des petits ateliers de confection de vêtements. Pas de voix off, pas d’explications, très peu d’interactions avec le cinéaste ou son caméraman, juste de la vidéo brute filmée avec une seule caméra qui flotte comme un fantôme invisible au cœur de la vie quotidienne des manufactures textiles. C’est si particulier, la narration n’est conduite que par les dialogues entre protagonistes et les images volées d’instants de vies. Les scènes sont longues, cinq ou dix minutes dans la même rue, sur le même lit, parfois sans dialogues. C’est parfois ennuyeux mais il faut pour que le spectateur infuse l’ennui pour qu’il ressente combien cette vie est dure et contient peu de divertissements.
Il est compliqué de juger du film car cela reviendrait presque à juger de la vie de gens qui travaillent dans un petit atelier. Le réalisateur et son équipe ont dû passer un temps infini pour que ces personnes oublient la caméra, une caméra neutre qui n’intervient jamais, pas même lorsqu’une des jeunes femmes commence à se faire violenter par son mari. Silence, on tourne. Il faut capturer la réalité sans l’altérer par sa présence, ramener le vrai dans la salle de montage. Des dizaines d’heures de rush obtenues, Wang Bing ne garde que deux heures trente même si je pense que le film aurait été plus efficace avec trente minutes de moins. C’est que le temps est parfois trop long et que le film ne dit rien des lieux ou des personnages dont on ne connaît pas toujours le nom. Le visionnage est confus, on ne sait pas trop quoi faire de tous ces morceaux de vies qui s’entrecroisent dans un même endroit et qu’on laisse pour d’autres. Pourtant quand le film se termine, on se réveille fort d’une compréhension plus globale de la réalité de centaines de milliers de travailleurs chinois, si ce ne sont de millions.
D’un point de vue technique, n’attendez pas un chef d’œuvre visuel, l’important est ici de montrer le réel et non de le sublimer. La caméra est parfois maladroite, mal cadrée, mal étalonnée mais montre toujours l’essentiel. Wang Bing cherche dans le cinéma la liberté de s’exprimer de façon précise et profonde, mais c’est avant tout son sujet qui détermine son film.
Pour conclure, je recommande ce film à tout ceux qui souhaitent en apprendre plus sur la face cachée de la Chine, à ceux qui veulent s’immerger du quotidien et sortir des clichés. Oui le film est parfois long, oui il est parfois triste, mais il n’est jamais misérable. Le voyage en terre de Chine n’est pas sans repos, je ne sais pas si j'ai aimé mais j'ai appris.