Comment, de nos jours, peut-on filmer la Chine sans entrer dans quelconque forme de topos ou de déjà vu ? Avec la grande variété de réalisateur chinois et la multiplication des films venant de là-bas, nous aurions tendance à répondre que c’est impossible, et d’une certaine manière nous aurions presque raison. C’est le mot « presque » qui nous fait mentir. En effet, H6 (2022), premier film de la réalisatrice franco-chinoise Yé Yé, renouvelle ce genre et présente la Chine sous un angle différent de celui auquel nous sommes habitués. Mais comment raconter ce grand pays en pleine mutation, sans verser dans la banalité, et sans s’égarer géographiquement et idéologiquement ? En faisant le choix de s’immergée au coeur de l’hôpital, la réalisatrice nous plonge littéralement dans les entrailles de la Chine, de ressentir son pouls, d’entendre son coeur battre et son corps vibrer. C’est ce choix osé et sans doute très difficile à la réalisation qui a permis de tracer les contours d’un portrait complexe du pays aujourd’hui : filmer la vie, les liens, dans un contexte où les trajectoires humaines sont interrompues.

L’hôpital est un endroit où nous préfèrerions ne jamais aller, mais auquel nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre, comme patient ou proche d’un patient. C’est un lieu offrant une scène de théâtre où le drame est omniprésent, mais où la comédie n’est jamais loin et se place comme un antidote puissant face à la gravité. C’est, de manière extrêmement subjective, l’aspect que je trouve le mieux réussi dans le film. Les personnes qui vont à l’hôpital sont dans un hors-temps, leur vie a été bouleversée, un grain de sable est venu gripper la bonne marche de leur quotidien, un accident de ski par exemple, et ils réagissent comme ils le peuvent. Dans ce film, on voit vraiment comment l’humour et les capacités d’adaptation des Chinois font des merveilles face à l’adversité.

Le spectateur suit, tout le long du film, l’itinéraire de quelques personnes hospitalisées, à leurs proches, depuis leur entrée qui marque un grand bouleversement, jusqu’à leur sortie de l’hôpital, parfois guéris, souvent affaiblis. Durant leur séjour, les questionnements existentiels et les préoccupations matérielles traverseront ces personnes confrontées à la question de la mort. Comment payer les soins d’un proche quand on a rien ? Comment accepter la perte de sa mobilité ? Va-t-on être encore utile à la société ? Quel sens à la vie ? Combien coûte à ta famille ton éventuelle survie ?

Avec un regard tendre, mais sans complaisance sur un pays tiraillé par ses contradictions, grâce à la présentation de personnages attachants où l’avenir est compromis, Yé Yé tente de trouver l’équilibre dans un monde sans cesse bouleversé. Une touche réaliste poignante pour un film tout à fait saisissant sortant largement du commun c’est le moins qu’on puisse dire. (6/10)